Spiritualité & contournement : lecture clinique du “spiritual bypassing”
- Emmanuel Page
- 1 sept.
- 13 min de lecture
Quand la spiritualité évite le réel : analyse clinique et études à l’appui sur l’évitement, le désengagement et la thérapie.
Introduction
Depuis plusieurs années, on observe un essor des pratiques dites « spirituelles » et des approches ésotériques au sein du développement personnel. Dans ma pratique clinique, un motif revient fréquemment : pour une partie du public, ces croyances ne servent pas d’appui existentiel, mais de stratégie de contournement de la souffrance psychique et des conflits humains très concrets (traumas, schémas familiaux, dynamiques d’attachement). Le psychologue et thérapeute John Welwood a proposé dès les années 1980 le terme de « spiritual bypassing » (contournement spirituel) : l’usage d’idées/pratiques spirituelles pour éviter d’affronter des blessures, tâches développementales ou affects douloureux.
Au-delà des descriptions cliniques, ce phénomène est aujourd’hui mesurable : la Spiritual Bypass Scale (SBS-13) distingue deux volets, évitation psychologique et spiritualisation, et a été validée dans plusieurs pays. Les études montrent que la spiritualisation s’associe à davantage de stress, d’anxiété et de détresse, indépendamment d’une simple religiosité, ce qui conforte l’idée d’un mécanisme défensif plutôt que d’un simple style de vie spirituel. Sur le plan des processus, cette dynamique s’apparente à l’évitation expérientielle : tendance transdiagnostique à fuir pensées, souvenirs et émotions désagréables, qui soulage à court terme mais entretient les troubles et rigidifie le fonctionnement (inflexibilité psychologique). De larges revues et méta-analyses relient cette évitation à la dépression, l’anxiété, le PTSD (Trouble de stress post-traumatique) et d’autres difficultés cliniques ; c’est un levier majeur à travailler en thérapie. Cliniquement, ce contournement ne reste pas cantonné au discours : il transparaît dans les conduites. On note plus d’instabilité dans l’engagement (désistements, difficulté à tenir un cadre, ruptures précoces de suivi), surtout quand l’exploration touche des zones douloureuses, autrement dit, quand l’évitement est activé. Plusieurs travaux sur l’adhésion et l’abandon de thérapie convergent : l’évitement (sous diverses formes) augmente le risque de dropout (rupture unilatérale du traitement par le patient), tandis qu’une alliance solide et des méthodes actives (ex. devoirs) le réduisent.
Enfin, lorsque la croyance ésotérique devient explication totalisante (« karmas », « mémoires », « énergies ») et se couple à une méfiance vis-à-vis des soins, on observe plus facilement des attitudes oppositionnelles (sanitaires/psychothérapiques). La littérature relie ainsi l’adhésion aux médecines alternatives à une plus forte hésitation vaccinale et à la défiance envers la médecine conventionnelle, marqueurs d’un style cognitif et motivationnel qui peut nourrir le désengagement thérapeutique.
Ce que montre l’expérience clinique rejoint donc ce que montrent les données : quand la spiritualité devient un écran pour éviter la confrontation au réel psychique, la personne souffre davantage, s’engage moins durablement et peine à bénéficier d’un accompagnement structuré. L’objectif de cet article est de déployer, étape par étape, une lecture psychanalytique et métapsychologique de ces mécanismes, appuyée par des résultats empiriques récents et des vignettes cliniques illustrant les conduites de désengagement.
« Spiritual bypassing est une tendance à utiliser des idées et des pratiques spirituelles pour contourner ou éviter des problèmes émotionnels non résolus, des blessures psychologiques et des tâches de développement inachevées. » – Wikipedia Wikipédia
« Selon la définition académique, le spiritual bypassing est une propension à utiliser des idées et des pratiques spirituelles pour éviter des problèmes émotionnels non résolus, des blessures psychologiques et des tâches de développement inachevées melissanoelrenzi.com+13Wikipédia+13Verywell Mind+13. »

1. La croyance comme échappatoire au réel
Freud, dans L’Avenir d’une illusion (1927), décrivait déjà la fonction protectrice de la croyance religieuse : offrir un cadre rassurant face à l’angoisse existentielle, à la souffrance et à la mort. Cette fonction reste d’actualité : la croyance apporte du sens et du réconfort. Mais elle peut aussi se transformer en illusion défensive, lorsque l’individu l’utilise pour éviter de se confronter à sa propre histoire et à ses conflits psychiques.
Un mécanisme de défense inconscient : Spiritualité & contournement
Sur le plan métapsychologique, ce recours à la croyance relève de plusieurs mécanismes de défense :
Le déni : nier la réalité psychique en l’enveloppant dans une explication spirituelle (“si je souffre, c’est une dette karmique, pas une blessure d’enfance”).
Le déplacement : reporter une souffrance intérieure vers un objet extérieur (une “énergie négative”, une “influence astrale”).
La rationalisation magique : donner une explication cohérente en apparence, mais qui évite tout questionnement profond.
Ces stratégies permettent de réduire l’angoisse à court terme, mais elles bloquent tout processus d’élaboration. Ferenczi parlait déjà de la tendance des sujets traumatisés à créer des “fictions protectrices” pour maintenir leur équilibre psychique (Journal clinique, 1932).
Le “spiritual bypassing”
John Welwood (1984) a conceptualisé ce phénomène sous le terme de spiritual bypassing : l’usage de pratiques ou croyances spirituelles pour éviter l’affrontement avec les blessures affectives, les conflits inconscients ou les tâches développementales. Les recherches récentes confirment cette intuition : la Spiritual Bypass Scale (SBS-13) distingue deux volets : évitation psychologique et spiritualisation. Plus l’individu spiritualise ses problèmes, plus il présente de stress, d’anxiété et de détresse émotionnelle.
Une fuite de la confrontation au réel
Ce contournement se traduit par une incapacité à supporter l’inconfort psychique. Plutôt que d’affronter l’angoisse d’abandon, de rejet ou d’humiliation, la personne l’habille d’une explication spirituelle. Cela fonctionne comme une armure : protectrice à court terme, mais qui enferme à long terme. Winnicott aurait parlé ici de “faux self” spirituel : une identité de façade, conforme à un idéal, mais déconnectée de la réalité intérieure (Jeu et réalité, 1971).
Exemple clinique
En séance, il n’est pas rare de rencontrer une personne expliquant que ses échecs amoureux viennent d’une “malédiction familiale” ou d’une “blessure karmique”. Pourtant, en explorant, on retrouve presque toujours des schémas d’attachement douloureux (parents absents, climat conflictuel, peur de l’abandon). La croyance devient un langage de substitution, qui évite de revisiter la douleur originelle.
2. Les mécanismes psychiques en jeu
Lorsque la croyance devient un refuge face à la souffrance, elle n’est pas qu’une adhésion intellectuelle : elle mobilise des processus psychiques inconscients qui visent à protéger le sujet de son angoisse. Ces mécanismes, bien décrits en psychanalyse et en psychologie clinique, expliquent pourquoi l’investissement spirituel peut se substituer au travail psychique.
2.1. Le déni et le déplacement
Le déni consiste à refuser la réalité interne ou externe pour préserver un équilibre psychique. Dans ce contexte, il prend la forme d’une explication spirituelle qui nie la source réelle du traumatisme :
“Ce n’est pas mon histoire familiale qui m’a marqué, ce sont des énergies négatives qui m’entourent.”
“Si je souffre, c’est parce que j’expie une vie antérieure.”
Le déplacement, lui, reporte la souffrance sur un objet extérieur plus tolérable : au lieu de voir une angoisse de rejet, le sujet perçoit une “attaque psychique” ou une “influence astrale”.
Ces deux mécanismes sont protecteurs mais stériles : ils empêchent la mise en mots et l’élaboration du conflit psychique.
2.2. La rationalisation magique
Ici, le sujet construit une explication pseudo-logique qui donne une cohérence apparente à sa souffrance, mais sans prise avec la réalité clinique. Exemple : une personne peut expliquer sa difficulté à s’engager dans une relation par une “blessure karmique” au lieu de reconnaître sa peur d’abandon issue d’expériences précoces. On parle alors de pensée magique : une forme de rationalisation qui évite l’angoisse, mais renforce le dogmatisme et rend l’individu imperméable à la contradiction.
2.3. L’évitement expérientiel
En psychologie contemporaine (thérapies contextuelles, ACT), ce mécanisme est décrit comme la tendance à fuir ou contrôler pensées, émotions et souvenirs douloureux. Cet évitement soulage à court terme, mais entretient et aggrave les difficultés. Les études montrent que l’évitement expérientiel est un facteur transdiagnostique, lié à la dépression, aux troubles anxieux et aux traumatismes (Hayes, 1996 ; Chawla & Ostafin, 2007). Le contournement spirituel en est une variante : au lieu de dire “je souffre”, le sujet dit “je vibre bas” ou “je suis attaqué énergétiquement”.
2.4. La dissonance cognitive et l’adhésion dogmatique
La théorie de Festinger (1957) éclaire aussi ce phénomène : lorsqu’une croyance irrationnelle est adoptée, toute information contradictoire crée une tension (dissonance). Pour la réduire, le sujet renforce sa croyance au lieu de la remettre en question. Ainsi, plus une explication ésotérique est fragile, plus l’individu s’y accroche, parfois en rejetant la médecine ou la thérapie, ce qui explique une partie des comportements oppositionnels observés en pratique clinique.
2.5. Le faux self spirituel
Winnicott (1971) décrivait la construction d’un “faux self” comme protection contre des environnements intrusifs ou insécures. Dans ce contexte, la spiritualité peut servir de masque socialement valorisé, permettant de cacher une identité blessée. Ce “moi spirituel” est rassurant mais creux, car il coupe l’individu de son vécu émotionnel authentique.
Exemple clinique
En consultation, une patiente explique ses douleurs chroniques comme une “empreinte de vies antérieures”. En explorant, on découvre une histoire marquée par un climat familial conflictuel, une mère dépressive, et un schéma répétitif d’auto-effacement. L’explication spirituelle agit comme un écran : elle évite la douleur d’affronter l’histoire réelle, mais la maintient dans une errance interprétative qui bloque le processus thérapeutique.

3. Des comportements marqués par le désengagement
Les mécanismes de défense mobilisés dans le contournement spirituel ne se manifestent pas uniquement au niveau du discours ou de la pensée magique. Ils s’incarnent dans des conduites observables qui viennent perturber la relation thérapeutique et, plus largement, les relations humaines.
3.1. Instabilité et désistements
Dans la pratique clinique, on observe fréquemment que les personnes recourant à ces stratégies spirituelles présentent des désistements de dernière minute, des changements constants de position, ou une incapacité à s’engager durablement dans une démarche thérapeutique.
Dès qu’un travail touche une zone douloureuse (trauma, histoire familiale, peur d’abandon), le processus est interrompu.
La croyance devient alors une justification pour “quitter” le réel : “ce n’est pas la bonne énergie”, “le thérapeute ne vibre pas avec moi”.
Des études en psychologie clinique confirment ce lien entre évitement et abandon thérapeutique : l’évitement expérientiel augmente significativement le risque de dropout en psychothérapie, toutes approches confondues.
3.2. Opposition au cadre
La thérapie suppose un cadre : horaires, règles de fonctionnement, continuité du travail. Or, chez ces patients, le rapport au cadre est souvent vécu comme une contrainte insupportable.
Annulations répétées sans prévenir.
Non-respect des horaires.
Contestation des règles (paiement, durée de séance, fréquence).
Derrière ces comportements se joue une dynamique inconsciente : rejeter le cadre, c’est rejeter le réel. Winnicott l’a montré : le cadre stable du thérapeute est souvent perçu comme “persécuteur” par des sujets fragilisés, ce qui les pousse à tester ou à saboter la relation.
3.3. Manque de fiabilité et attitudes oppositionnelles
Au-delà de la thérapie, ces comportements s’étendent souvent aux autres domaines de la vie :
difficultés à maintenir une relation amicale ou amoureuse stable,
instabilité professionnelle (changements fréquents, conflits avec l’autorité),
opposition systématique aux soins médicaux ou aux traitements psychothérapeutiques.
Des recherches récentes montrent une corrélation entre adhésion aux médecines alternatives et défiance vis-à-vis des soins conventionnels, notamment dans le domaine de la vaccination et du suivi médical.
3.4. Le paradoxe de la tolérance
Bien que le discours spirituel mette souvent en avant des valeurs de respect, d’amour universel et de tolérance, les comportements concrets révèlent parfois l’inverse :
intolérance face à la contradiction,
rejet de toute remise en question,
rigidité dogmatique derrière un discours de “lâcher-prise”.
Ce paradoxe illustre la dissonance cognitive (Festinger, 1957) : l’individu maintient coûte que coûte une image idéale de lui-même (lumineux, éveillé), quitte à produire des comportements incohérents ou agressifs lorsque cette image est mise en péril.
Exemple clinique
Un patient s’inscrit à un cycle de séances, affirmant vouloir “se libérer d’un karma d’abandon”. Dès que l’exploration aborde son histoire parentale et ses relations affectives, il commence à manquer des séances, invoquant des “signes de l’univers” pour expliquer ses absences. Finalement, il abandonne en déclarant que “le thérapeute ne correspond plus à son chemin spirituel”. Le désengagement n’est pas motivé par un désintérêt réel, mais par l’impossibilité de tolérer l’inconfort d’un travail psychique profond.
4. Conséquences cliniques et humaines
L’usage de la croyance comme échappatoire ne reste pas sans impact. En clinique, il entraîne des conséquences directes pour la personne, son entourage et la relation thérapeutique. Ces répercussions sont d’autant plus importantes qu’elles s’installent souvent dans la durée.
4.1. Ruptures de suivi thérapeutique
L’un des effets les plus visibles est le taux élevé d’abandon. Ces patients interrompent souvent la thérapie prématurément, surtout lorsque l’exploration commence à toucher des zones traumatiques.
Ils passent d’un praticien à l’autre, d’une méthode à l’autre, sans jamais aller au bout d’un processus.
Ce “nomadisme thérapeutique” entretient un sentiment d’échec répété et une impression que “rien ne marche”, renforçant leur besoin de se réfugier dans des croyances dogmatiques.
La littérature sur la psychothérapie confirme que l’évitement expérientiel et la faible tolérance à la détresse sont des prédicteurs significatifs de l’abandon (dropout).
4.2. Opposition aux soins médicaux
La défiance vis-à-vis du médical est fréquente. Certains refusent tout traitement, estimant que “seules les énergies” ou “les pensées positives” suffiront. Cette opposition peut :
retarder la prise en charge de pathologies graves,
fragiliser l’alliance thérapeutique avec les soignants,
et mettre en danger la santé physique du patient.
Les recherches montrent que les adeptes de pratiques alternatives présentent une plus grande hésitation vaccinale et une défiance générale envers la médecine conventionnelle.
4.3. Isolement relationnel
Dans la vie quotidienne, ces attitudes conduisent à un isolement progressif.
Les proches peinent à suivre les justifications ésotériques.
Les comportements instables ou intolérants entraînent des conflits répétés.
La personne finit par se sentir “incomprise” et se replie dans des cercles fermés partageant les mêmes croyances.
Cet isolement renforce le dogmatisme et empêche toute remise en question, créant un cercle vicieux.
4.4. Souffrance psychique accrue
À court terme, le contournement réduit l’angoisse. Mais à long terme, il aggrave la souffrance, car les blessures non travaillées continuent d’agir dans l’ombre.
Dépression chronique, troubles anxieux, sentiment de vide existentiel.
Répétition des mêmes scénarios relationnels douloureux (abandon, rejet, humiliation).
Sentiment d’impuissance renforcé par l’échec des démarches spirituelles successives.
Des études sur le spiritual bypassing montrent qu’il est associé à une augmentation du stress, de l’anxiété et de la détresse émotionnelle, et non à une meilleure santé psychique.
Exemple clinique
Un homme de 45 ans, après plusieurs ruptures sentimentales, attribuait ses échecs amoureux à une “malédiction énergétique”. Refusant toute exploration de son histoire d’attachement, il multipliait les consultations ésotériques. En réalité, ses relations étaient marquées par une peur panique de l’abandon, jamais travaillée. Après plusieurs années de ce cycle, il se retrouvait isolé, méfiant vis-à-vis de la thérapie, et plus souffrant encore qu’au départ.

5. Repenser la place de la spiritualité
La spiritualité n’est pas en soi problématique. Elle constitue, pour de nombreuses personnes, une source de sens, de réconfort et de soutien. Freud lui-même, dans L’Avenir d’une illusion (1927), reconnaissait que la croyance pouvait avoir une fonction apaisante face à l’angoisse. La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non “croire”, mais de comprendre comment cette croyance s’articule avec la réalité psychique.
5.1. La spiritualité comme ressource existentielle
La spiritualité peut apporter :
un sentiment de continuité dans l’existence,
un cadre symbolique permettant de donner sens à la souffrance,
une capacité de résilience en reliant l’individu à quelque chose de plus grand que lui.
Les recherches en psychologie positive et en psychologie de la religion montrent que la spiritualité, lorsqu’elle est intégrée de façon souple et réflexive, est associée à une meilleure qualité de vie, une réduction du stress et un soutien social plus fort.
5.2. Le danger du contournement
Le problème apparaît lorsque la spiritualité se transforme en mécanisme de défense exclusif. Au lieu de compléter un travail psychique, elle le court-circuite.
Au lieu d’affronter un traumatisme, le sujet le “spiritualise”.
Au lieu d’assumer un conflit relationnel, il le projette dans une “énergie négative”.
Au lieu d’engager un processus thérapeutique, il multiplie les consultations ésotériques.
C’est ce qu’a montré Welwood (1984) avec le concept de spiritual bypassing, confirmé depuis par plusieurs études : plus la spiritualité sert de fuite, plus elle est corrélée à une détresse psychologique accrue.
5.3. Restaurer l’équilibre : du contournement à l’intégration
Le rôle du thérapeute est d’accompagner la personne à distinguer :
ce qui relève du réel (traumatismes, schémas d’attachement, conflits psychiques),
ce qui relève du symbolique (valeurs existentielles, quête de sens),
et ce qui appartient à l’imaginaire (explications ésotériques, projections magiques).
Cette distinction permet à la spiritualité de retrouver sa place : non pas comme une armure défensive, mais comme un langage complémentaire venant soutenir le processus thérapeutique.
5.4. Le cadre thérapeutique comme espace d’ancrage
Dans cette perspective, le thérapeute joue un rôle d’ancrage :
maintenir un cadre stable malgré les désistements et l’instabilité,
accueillir les croyances sans jugement, mais sans les cautionner comme explication exclusive,
encourager la confrontation progressive aux affects douloureux, en montrant que c’est dans cette élaboration que se trouve la guérison.
Exemple clinique
Une patiente, très investie dans des pratiques énergétiques, expliquait ses douleurs chroniques comme la conséquence d’“attaques astrales”. Plutôt que de nier cette croyance, le travail a consisté à l’accueillir comme une métaphore de sa souffrance, tout en l’accompagnant à explorer son histoire d’abus dans l’enfance. Progressivement, la spiritualité est devenue pour elle un langage symbolique au service de l’élaboration psychique, et non plus un refuge pour l’éviter.

Conclusion
La spiritualité occupe une place croissante dans nos sociétés contemporaines, et elle peut constituer une ressource précieuse de sens et de résilience. Mais lorsqu’elle est utilisée comme stratégie de contournement, elle devient un frein au processus thérapeutique et à l’élaboration psychique.
L’observation clinique et les recherches récentes convergent : le spiritual bypassing s’accompagne d’une souffrance accrue, d’un désengagement fréquent en thérapie, d’une opposition aux soins et d’un isolement relationnel. Les mécanismes de défense à l’œuvre, déni, déplacement, rationalisation magique, évitement expérientiel, permettent de réduire l’angoisse à court terme, mais entretiennent les blessures non résolues.
La tâche du thérapeute n’est pas de nier la croyance, mais de l’accueillir comme un langage, tout en aidant le sujet à distinguer le réel, le symbolique et l’imaginaire. La spiritualité peut alors retrouver sa juste place : non pas comme un refuge contre la souffrance, mais comme un soutien complémentaire à l’élaboration psychique, au service d’un cheminement plus authentique.
Lorsqu’elle est raisonnée et défaite des croyances dogmatiques ou des dérives New Age, la spiritualité devient une philosophie de vie, capable de nourrir la réflexion, de renforcer la résilience et d’accompagner une recherche sincère de sens. Elle ne remplace pas le travail thérapeutique, mais peut l’enrichir, en ouvrant à une compréhension plus large de l’existence.
Comme l’écrivait Freud dans L’Avenir d’une illusion : « On ne surmonte pas une souffrance en la recouvrant d’illusions. »La véritable question est peut-être celle-ci :
cherchons-nous à fuir nos blessures à travers la croyance, ou à les transformer à travers un véritable travail sur nous-mêmes ?
Car c’est dans la confrontation patiente et progressive avec son histoire personnelle, telle qu’une thérapie analytique le permet, que s’ouvre la possibilité d’une transformation durable et profonde.
Références et sources
Freud, S. (1927). L’Avenir d’une illusion. Paris : PUF.(Référence classique sur la fonction protectrice des croyances)
Winnicott, D.W. (1971). Jeu et réalité. Paris : Gallimard.(Concept de faux self, éclairant le masque spirituel)
Welwood, J. (1984). Principles of Inner Work. Journal of Transpersonal Psychology.*(Introduction du concept de spiritual bypassing)
Chawla, N., & Ostafin, B. (2007). Experiential avoidance as a functional dimensional approach to psychopathology: An empirical review. Journal of Clinical Psychology.(Lien entre évitement expérientiel et souffrance psychique)
Knabb, J., et al. (2019). Development and Validation of the Spiritual Bypass Scale. Psychology of Religion and Spirituality.(Outil de mesure scientifique du contournement spirituel)
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