Halloween : une nuit où la peur se fait lumière | Symbolique et psychologie
- Emmanuel Page

- 31 oct.
- 9 min de lecture
🕯️ Introduction 🕯️
Quand l’automne s’installe et que le vent se glisse entre les branches nues, quelque chose change dans l’air.
Les jours raccourcissent, la nature s’endort, et l’obscurité reprend doucement ses droits. Pourtant, c’est précisément à ce moment de l’année que nous choisissons d’allumer des lanternes, de décorer nos maisons de citrouilles lumineuses et de rire de ce qui nous effraie.
Chaque 31 octobre, Halloween réveille en nous une étrange nostalgie, celle de nos peurs d’enfant, apprivoisées sous les masques et les bougies.
Sous ses airs de fête populaire, Halloween parle en réalité à notre psyché la plus profonde : c’est la nuit où la peur devient un jeu, où l’ombre se pare de lumière.
Les monstres qui sortent dans les rues ne sont pas là pour nous effrayer, mais pour nous rappeler qu’au fond, nous vivons avec eux depuis toujours : nos angoisses, nos blessures, nos désirs refoulés…
Cette fête ancienne, désormais colorée et sucrée, porte un message universel : nous avons besoin d’apprivoiser la mort pour célébrer la vie.
Il y a dans Halloween une magie simple, presque thérapeutique.
Allumer une bougie dans une citrouille, c’est un geste symbolique : une manière d’éclairer l’obscurité, pas seulement celle de la nuit, mais aussi celle que nous portons en nous.
Et si, finalement, cette fête des morts n’était qu’une invitation à renouer avec nos parts d’ombre, à les regarder sans peur… pour les transformer en lumière ?

Samhain : la nuit où les mondes se touchent
Bien avant que les citrouilles ne s’invitent sur nos rebords de fenêtres, avant même que le mot Halloween n’existe, les anciens Celtes célébraient Samhain, la nuit sacrée qui marquait la fin de l’année et l’entrée dans la saison sombre. C’était un moment de bascule, un passage entre deux mondes : celui des vivants et celui des morts. On croyait que, lors de cette nuit, le voile entre les deux se faisait si mince que les esprits pouvaient traverser pour rendre visite aux humains.
Les villageois allumaient alors d’immenses feux de joie sur les collines, pour guider les âmes bienveillantes et tenir à distance les forces obscures. On déposait de la nourriture sur le seuil des maisons, comme une offrande pour apaiser les revenants, et l’on se déguisait afin de tromper les esprits malicieux. C’était à la fois une célébration, un hommage, et un rituel de protection.
Dans cette tradition se cache une profonde vérité psychique :
Nous avons toujours cherché à donner un sens à ce que nous ne comprenons pas, à rendre tangible ce qui nous effraie.
Samhain, c’est la mémoire de cette époque où l’humain acceptait de vivre en lien avec l’invisible, au lieu de le rejeter. Allumer un feu dans la nuit, c’était affirmer :
“Je vois l’obscurité, mais elle ne m’effraie plus. J’y dépose ma lumière.”
Aujourd’hui encore, quand une flamme vacille dans une citrouille sur un perron, c’est ce même geste ancestral qui se rejoue. Une façon d’honorer les disparus, mais aussi de reconnaître nos propres parts d’ombre, celles que nous préférons parfois ignorer. Car Samhain, au fond, n’est pas seulement la fête des morts : c’est la fête du passage, du lâcher-prise et de la transformation intérieure. C’est le moment où l’on apprend que la lumière ne naît pas contre l’obscurité, mais à travers elle.
🎭 Les masques et les monstres : nos ombres qui dansent
Lorsque vient la nuit d’Halloween, les rues se remplissent de sorcières, de vampires, de fantômes, de créatures ricanantes et d’enfants costumés. À première vue, c’est un simple jeu : on se déguise, on rit, on demande des bonbons. Mais derrière le rire se cache une vérité bien plus profonde : le déguisement libère l’inconscient. Sous un masque, on ose être quelqu’un d’autre, ou peut-être enfin soi-même. Le costume devient un espace de liberté, une autorisation implicite à exprimer des parts de nous que l’on retient habituellement. Celui qui se cache derrière un visage peint ou une cape de monstre ne trahit pas son identité : il explore ses pulsions, ses désirs, ses peurs, en toute sécurité. C’est une mise en scène, mais aussi une mise à nu. Freud parlait de sublimation pour décrire ces processus où les pulsions trouvent un exutoire socialement acceptable. Et Jung y verrait un dialogue entre le conscient et l’inconscient : l’ombre qui, l’espace d’une nuit, se laisse voir sans jugements. En enfilant un masque, nous jouons symboliquement avec nos forces contraires : la peur et le pouvoir, la beauté et la monstruosité, la vie et la mort. Halloween nous offre une parenthèse où le refoulé devient spectacle, où les tabous se transforment en rire. C’est un exorcisme doux, collectif et joyeux : une manière de dire à nos démons intérieurs,
“Ce soir, vous pouvez sortir. Mais c’est moi qui mène la danse.”
Et peut-être est-ce cela, la véritable magie d’Halloween : non pas fuir la peur, mais l’apprivoiser par le jeu, la transformer en énergie vivante, colorée, et même un peu tendre.
🕯️ La légende de Jack-o’-Lantern : la flamme de l’âme errante
On raconte qu’il y a bien longtemps, dans une Irlande balayée par le vent et la brume, vivait un homme nommé Jack, surnommé Stingy Jack, Jack l’avare. C’était un ivrogne rusé, menteur à ses heures, et surtout capable de duper même les plus malins. Un soir d’octobre, alors qu’il errait dans un chemin obscur, il croisa le Diable venu réclamer son âme. Mais Jack, plus rusé que le Malin, proposa un dernier verre avant de partir. Le Diable accepta, et Jack, sans un sou, le convainquit de se transformer en pièce pour payer l’aubergiste. Sitôt le tour joué, Jack enferma la pièce dans sa bourse, à côté d’une croix d’argent : le Diable était piégé.
Pour recouvrer sa liberté, le Diable dut promettre de ne jamais emporter l’âme de Jack. Des années plus tard, lorsque Jack mourut, le ciel refusa de l’accueillir, il avait trop péché, et l’Enfer tint parole : il ne pouvait l’y recevoir. Alors Jack se retrouva seul, condamné à errer dans la nuit éternelle. Par compassion, ou moquerie, le Diable lui donna un charbon ardent, afin d’éclairer son chemin. Jack plaça la braise dans un navet évidé pour en faire une lanterne, et depuis ce jour, il marche entre les mondes, cherchant en vain un lieu de repos. Les Irlandais l’appelèrent Jack of the Lantern, Jack-o’-Lantern. Quand les émigrés irlandais arrivèrent en Amérique, ils troquèrent le navet contre la citrouille, plus abondante et plus simple à creuser. Et chaque 31 octobre, on allume une flamme en souvenir de Jack, pour éclairer les âmes errantes et tenir les ombres à distance.

La lumière qui veille dans la nuit
Cette légende, sous ses airs de conte d’autrefois, dit quelque chose de profond : Nous sommes tous un peu comme Jack, parfois égarés entre deux mondes, celui que nous connaissons et celui que nous redoutons, celui de la raison et celui de l’inconscient. Allumer une bougie dans une citrouille, ce n’est pas qu’un geste décoratif : c’est un acte symbolique, un message que nous adressons à la nuit. C’est dire à nos peurs, nos doutes, nos fantômes intérieurs :
“Je te vois, mais je ne te fuis plus. Tu peux rester, tant que je garde la lumière allumée.”
Chaque flamme qui danse dans une lanterne d’Halloween prolonge ce vieux pacte : un peu de lumière contre l’obscurité, un peu de conscience dans le mystère. Et peut-être qu’en regardant vaciller cette lueur sur le rebord d’une fenêtre, on sent au fond de soi le feu tranquille de la vie qui ne s’éteint jamais.
Pourquoi on aime se faire peur (sans danger)
C’est une étrange contradiction humaine : nous fuyons la peur au quotidien, mais nous adorons la provoquer quand elle est sous contrôle. Nous regardons des films d’horreur, visitons des maisons hantées, jouons à nous effrayer, tout en sachant, au fond, que rien de tout cela n’est réel. Ce paradoxe n’a rien d’illogique : il révèle notre besoin d’apprivoiser ce sentiment primal qu’est la peur, sans y laisser de traces durables. Lorsque nous frissonnons en sécurité, le cerveau sait que nous ne risquons rien. Il libère alors de l’adrénaline, cette hormone qui accélère le cœur et aiguise les sens, puis de la dopamine, la molécule du plaisir et du soulagement. C’est une mini catharsis : un exutoire où nos émotions se déchargent sans danger. Le corps vibre, le cœur bat plus fort, et l’esprit, libéré du risque réel, retrouve une sensation primitive de vitalité. En réalité, se faire peur volontairement, c’est une manière de rejouer nos angoisses dans un cadre que nous maîtrisons. On devient acteur de son propre effroi. Et ce que la psychothérapie fait dans le cabinet, Halloween le fait à l’échelle d’un village :
elle permet à chacun de se confronter à ses peurs symboliquement, dans un espace protégé, entouré des autres.
Cette nuit de rires et de frissons nous rappelle une chose essentielle : la peur n’est pas notre ennemie. Elle n’a de pouvoir que lorsqu’on lui tourne le dos. Mais quand on ose la regarder, la nommer, la jouer même, elle perd son emprise et devient une énergie vivante, presque joyeuse.
Peut-être est-ce pour cela que tant de personnes aiment Halloween : parce qu’elle offre la permission de trembler un peu… sans se sentir en danger. Une peur apprivoisée, transformée, intégrée, exactement comme le travail intérieur que l’on fait quand on choisit de se connaître.

La lumière dans l’ombre : ce qu’Halloween nous enseigne
Halloween, sous ses airs de fête populaire, cache un message universel : la lumière ne prend sens que lorsqu’elle naît de l’obscurité. Tout dans cette nuit symbolise le passage, la transformation, le lien entre les contraires. La mort et la vie, la peur et le rire, l’ombre et la clarté : autant de pôles qui s’opposent en apparence, mais qui, dans la profondeur de notre psyché, se complètent.
Le soir du 31 octobre, les rues se parent de visages monstrueux, les flammes tremblent dans les citrouilles, et les ombres dansent sur les murs. Mais si l’on observe bien, ce n’est pas la peur que l’on célèbre : c’est la capacité de la dépasser. En riant de nos angoisses, en les transformant en histoires, en jeux ou en symboles, nous accomplissons un geste fondamental : celui d’intégrer ce que nous redoutons. C’est la condition même de toute croissance intérieure. D’un point de vue psychique, Halloween agit comme un miroir :il nous montre que les ténèbres ne disparaissent pas, mais qu’elles peuvent être apprivoisées. Celui qui refuse l’ombre vit dans la tension et la peur. Celui qui l’accueille découvre la paix intérieure, car il sait que la lumière ne se construit pas contre la nuit, mais grâce à elle. Dans nos vies aussi, nous traversons des périodes de Samhain : des moments de fin, de perte, de silence, où tout semble s’éteindre. Mais derrière chaque obscurité se prépare une renaissance. Comme une bougie dans la citrouille, la conscience éclaire doucement les recoins que l’on croyait perdus. Halloween nous enseigne, sans le dire, que la paix intérieure vient de la réconciliation : entre l’enfant qui a peur et l’adulte qui le rassure, entre ce que nous montrons et ce que nous cachons. Et qu’en allumant une flamme dans la nuit, nous rappelons au monde, et à nous-mêmes que la lumière n’a jamais cessé d’exister.
🎃 Conclusion : Allumer la bougie en soi
Quand la nuit d’Halloween s’installe, que la brume enveloppe les rues et que les lanternes s’allument une à une, c’est bien plus qu’une fête que nous célébrons. C’est une mémoire ancienne qui se réveille, un rituel collectif qui relie les vivants et les disparus, la lumière et l’obscurité, la peur et la tendresse.
Derrière chaque flamme qui danse dans une citrouille, il y a le symbole d’une humanité qui refuse d’avoir peur du noir. Ce geste simple, ancestral, nous relie à nos ancêtres, à nos rêves et à nos blessures, mais aussi à notre propre lumière intérieure, celle que rien ne peut éteindre.
Allumer une bougie, c’
est comme faire un pas vers soi. C’est reconnaître que nos peurs ne sont pas des ennemies à combattre, mais des messagères à écouter. C’est se rappeler que la vie, dans toute sa beauté, inclut la perte, le mystère et la transformation. Et que même dans nos nuits les plus profondes, une flamme veille, patiente, prête à rallumer le chemin.
Mais Halloween, c’est aussi cela : un moment de rire, de partage et de jeu. Derrière les masques et les friandises, il y a cette envie si humaine de retrouver l’enfant intérieur, celui qui n’a pas peur de l’imaginaire, du mystère ni de la joie simple d’une soirée entre amis. Même si le commerce s’en est emparé, il ne peut rien ôter à cette essence : celle d’une fête qui nous invite à vivre, à sourire et à allumer la lumière, en soi comme autour de soi.

Sources & inspirations
Buckland, Raymond – The Witch Book: The Encyclopedia of Witchcraft, Wicca, and Neo-paganism. (Visible Ink Press, 2002).→ Pour l’origine celtique de Samhain et les rites anciens de passage entre les mondes.
Freud, Sigmund – Totem et Tabou. (1913).→ Pour comprendre la fonction des rituels, du déguisement et du lien entre peur, interdit et pulsions inconscientes.
Jung, Carl Gustav – L’Homme et ses symboles. (1964).→ Pour la notion d’ombre, d’archétypes et l’interprétation symbolique des monstres ou masques.
Campbell, Joseph – Le Héros aux mille et un visages. (1949).→ Pour la lecture mythologique et psychologique des récits qui confrontent la mort et la peur.
Eliade, Mircea – Le Sacré et le Profane. (1957).→ Pour l’analyse des rituels saisonniers, de la mort symbolique et du renouveau.
Folklore irlandais : la légende de Jack-o’-Lantern(Sources orales et récits populaires transmis dès le XVIIIᵉ siècle, recensés notamment par le Dublin Folklore Project).→ Pour l’origine du symbole de la citrouille et de la lanterne.
American Folklife Center – Library of Congress (USA)→ Ressources historiques sur l’adaptation d’Halloween en Amérique du Nord.
APA – American Psychological Association : articles sur la peur et la catharsis émotionnelle.Exemple : “Why Do People Enjoy Being Scared?” (APA Monitor, Oct. 2019).
Boris Cyrulnik – Les Nourritures affectives. (2001).→ Pour la notion de transformation psychique par l’expérience émotionnelle.
Mythologie et traditions celtiques – Encyclopædia Britannica Online (consultée en octobre 2025).→ Informations sur Samhain et ses liens avec les cycles naturels.







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