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La blessure d'abandon : Comprendre, guérir et se reconstruire

Introduction


Parmi les souffrances psychologiques que je rencontre le plus souvent en cabinet, la blessure d’abandon occupe une place centrale. Elle se cache derrière de nombreuses difficultés : des relations amoureuses qui se répètent, une peur constante d’être laissé de côté, ou encore une dépendance excessive au regard de l’autre.

Cette blessure ne se résume pas au fait d’avoir été quitté physiquement. On peut souffrir d’un abandon alors même qu’aucune séparation concrète n’a eu lieu. L’abandon peut être émotionnel : un parent présent mais affectivement indisponible, accaparé par la maladie ou par ses propres difficultés ; une fratrie où l’enfant ne trouve pas sa place ; ou encore des expériences où l’individu n’a pas été reconnu dans ses besoins essentiels.

Historiquement, la blessure d’abandon a été étudiée par plusieurs cliniciens. Le psychiatre américain John Pierrakos, inspiré des travaux du psychanalyste autrichien Wilhelm Reich, en a proposé une première conceptualisation. Plus tard, l’auteure Lise Bourbeau a contribué à faire connaître ce thème au grand public à travers son ouvrage Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même.

Si ce concept résonne autant, c’est parce qu’il touche à une réalité universelle : le besoin de lien, de sécurité, de présence. Quand ce besoin est marqué par l’insécurité ou le manque, il laisse une trace profonde qui influence la manière dont nous vivons nos relations à l’âge adulte.

Dans cet article, je vous propose d’explorer cette blessure sous un angle à la fois clinique et psycho-éducatif :

  • Comprendre ce qu’est réellement la blessure d’abandon,

  • Identifier ses origines et ses manifestations,

  • Découvrir comment un accompagnement thérapeutique peut permettre de la transformer.



Silhouette assise seule dans une chambre sombre, symbolisant la solitude intérieure liée à la blessure d’abandon.

1 Qu’est-ce que la blessure d’abandon ?


La blessure d’abandon désigne une peur profonde de perdre le lien avec l’autre, au point de vivre chaque séparation – réelle ou symbolique – comme une menace. Elle se manifeste par une insécurité affective qui pousse la personne à rechercher sans cesse la présence, la validation ou l’attention de l’autre.


👉 Important : on n’a pas besoin d’avoir été “abandonné” physiquement pour souffrir de cette blessure. Un abandon peut être émotionnel :

  • un parent présent mais indisponible affectivement, absorbé par ses propres difficultés,

  • un parent malade ou fragilisé qui ne peut pas offrir une base de sécurité,

  • une fratrie où l’individu ne trouve pas sa place et se sent ignoré,

  • un environnement où l’enfant n’a pas été reconnu dans ses besoins essentiels (affection, écoute, protection).

Dans ces contextes, l’enfant enregistre inconsciemment le message :« Je ne peux pas compter sur l’autre pour être pleinement là pour moi. »

À l’âge adulte, cette empreinte devient une blessure relationnelle. La personne développe une peur constante d’être mise à l’écart ou remplacée. Cette insécurité se traduit par des comportements de fusion, de dépendance, mais aussi parfois de colère ou de rejet anticipé, comme si elle préférait rompre avant d’être quittée.

La blessure d’abandon est donc une construction psychique née d’expériences précoces, qui s’enracine dans l’histoire personnelle et influence profondément la manière d’aimer et de se relier aux autres.


2 D’où vient la blessure d’abandon ?


La blessure d’abandon prend racine très tôt, dans les premières expériences de lien et de sécurité. Elle s’explique autant par des facteurs historiques (les premiers cliniciens qui l’ont étudiée) que par des mécanismes psychologiques bien identifiés.


🔹 Les pionniers du concept

Le psychiatre américain John Pierrakos, élève de Wilhelm Reich – lui-même médecin psychiatre et psychanalyste autrichien – a décrit ce qu’il appelait les “cinq blessures intérieures”. Parmi elles, l’abandon occupe une place centrale, car elle touche directement au besoin vital d’attachement.

Plus tard, l’auteure Lise Bourbeau a popularisé ce concept auprès du grand public dans son ouvrage Les 5 blessures qui empêchent d’être soi-même. Si ce livre a permis de sensibiliser de nombreuses personnes, il est important de rappeler que l’approche clinique va bien au-delà d’une typologie. Elle cherche à comprendre comment et pourquoi ces blessures se construisent dans le psychisme.


🔹 L’attachement et la sécurité affective

En psychologie clinique, on retrouve un lien direct entre la blessure d’abandon et la théorie de l’attachement développée par John Bowlby.

  • Quand l’enfant reçoit une présence stable, il développe un attachement sécurisant, qui lui permet d’explorer le monde en confiance.

  • Mais lorsque les réponses parentales sont inconstantes, absentes ou imprévisibles, l’enfant développe une insécurité affective. Il apprend à se cramponner, à surveiller l’autre, et parfois à se suradapter pour ne pas risquer la perte.


👉 Ainsi, la blessure d’abandon est souvent la conséquence d’un environnement affectif instable, où l’enfant n’a pas pu construire une confiance suffisante dans la permanence du lien.

Cette insécurité devient une empreinte durable, qui se rejoue ensuite dans les relations amoureuses, amicales ou professionnelles.


Banc vide dans un parc au crépuscule, une silhouette s’éloigne au loin, représentant la peur de l’abandon.

3 Comment la blessure d’abandon se manifeste à l’âge adulte ?


La blessure d’abandon ne reste pas confinée à l’enfance : elle s’exprime dans la vie quotidienne, souvent de manière répétitive et douloureuse. Les personnes concernées en ont parfois conscience, mais elles décrivent souvent le sentiment de “revivre toujours la même histoire”.

🔹 Dans les relations amoureuses

  • Besoin constant de réassurance : “Est-ce que tu m’aimes encore ?”

  • Peur panique de la séparation, même temporaire.

  • Fusion excessive : vouloir tout partager, ne pas supporter la distance.

  • Jalousie ou hypervigilance : guetter les signes de désintérêt, analyser chaque silence.

  • Auto-sabotage : rompre avant d’être quitté, par peur d’anticiper la douleur.

🔹 Dans les relations amicales et familiales

  • Se sentir vite mis à l’écart ou oublié.

  • Difficulté à dire “non” par peur de déplaire.

  • S’effacer ou tout donner pour être sûr d’être aimé.

  • Éprouver une grande souffrance lorsque l’attention se détourne vers quelqu’un d’autre.

🔹 Dans la vie professionnelle

  • Rechercher constamment l’approbation du supérieur ou des collègues.

  • Se sentir dévalorisé dès qu’une critique est exprimée.

  • Redouter l’isolement ou l’exclusion dans l’équipe.

  • Accepter des tâches non désirées par peur d’être rejeté.


👉 Dans tous ces contextes, la blessure d’abandon fonctionne comme un prisme déformant. La personne interprète la moindre distance comme une menace et vit l’indifférence – réelle ou supposée – comme une douleur intense.

4 Ce que ça fait “à l’intérieur”


La blessure d’abandon n’est pas seulement un comportement visible : c’est surtout un mécanisme intérieur puissant.

🔹 L’angoisse de séparation

Dès qu’une distance apparaît, même minime, l’inconscient réactive une peur profonde : “Si l’autre s’éloigne, je vais disparaître.” Cette angoisse n’est pas rationnelle : elle est enracinée dans les premières expériences de manque ou d’indisponibilité affective.

🔹 La répétition du scénario

Comme l’expliquait Freud, ce qui n’est pas élaboré psychiquement tend à se répéter. La personne rejoue inconsciemment les mêmes situations : choisir des partenaires indisponibles, rester dans des relations instables, revivre encore et encore la peur d’être laissé. On parle ici de compulsion de répétition : l’inconscient espère résoudre enfin la blessure, mais il la rejoue au lieu de la guérir.

🔹 Les croyances de base

La blessure d’abandon s’accompagne de convictions intérieures, souvent inconscientes :

  • “Je ne vaux rien sans l’autre.”

  • “On finit toujours par m’oublier.”

  • “Je dois donner sans cesse pour être aimé.”

Ces croyances agissent comme des filtres : elles déforment la réalité et amènent la personne à interpréter ses relations à travers le prisme de l’insécurité.

🔹 Le style d’attachement anxieux

En psychologie contemporaine, on rapproche souvent la blessure d’abandon du style d’attachement anxieux/préoccupé décrit par John Bowlby et Mary Ainsworth. L’adulte concerné vit dans une vigilance permanente : il recherche la proximité à tout prix, mais cette quête l’empêche de trouver un apaisement durable.


5 Conséquences et facteurs d’entretien


La blessure d’abandon ne s’arrête pas aux émotions intérieures : elle façonne durablement les relations, les choix et même la santé psychique de la personne.



🔹 Conséquences relationnelles

  • Relations instables faites de rapprochements intenses suivis d’éloignements douloureux.

  • Attirance répétée pour des partenaires indisponibles ou évitants.

  • Difficultés à poser des limites, ce qui favorise les relations déséquilibrées ou toxiques.

  • Risque d’isolement : à force de peur et de jalousie, l’autre finit parfois par s’éloigner réellement.


🔹 Conséquences professionnelles et personnelles

  • Difficulté à prendre des décisions seul(e), par peur de se tromper.

  • Recherche excessive de validation auprès des collègues ou supérieurs.

  • Auto-sabotage : renoncer à des projets ou à des opportunités par manque de confiance.

  • Sentiment de vide et de dépendance au regard extérieur pour se sentir exister.


🔹 Facteurs d’entretien

La blessure d’abandon se maintient souvent à travers certains pièges :

  • La répétition : rechercher inconsciemment des situations qui réactivent la peur, comme pour “vérifier” si l’histoire peut se terminer autrement.

  • Les croyances limitantes : se dire qu’on n’a pas de valeur ou qu’on finit toujours par être laissé.

  • Les solutions rapides : se tourner vers des pratiques ou des relations qui apaisent sur le moment, mais sans transformer la racine de la souffrance.

  • Le cumul non coordonné de méthodes : consulter plusieurs praticiens sans fil conducteur, ce qui peut fragmenter le travail au lieu de le renforcer.

👉 Ces mécanismes expliquent pourquoi la blessure d’abandon peut durer des années si elle n’est pas prise en charge dans un travail thérapeutique de fond.



6 Comment guérir ? Le chemin thérapeutique


La blessure d’abandon n’est pas une fatalité. Elle peut se transformer à condition d’être reconnue, comprise et travaillée en profondeur. La guérison ne consiste pas à “ne plus jamais avoir peur”, mais à apprendre à vivre ses relations autrement : avec plus de sécurité intérieure et moins de dépendance.


🔹 1. Prendre conscience de ses schémas

Le premier pas est d’identifier les situations qui déclenchent la peur de l’abandon :

  • Quand je panique si l’autre ne répond pas immédiatement,

  • Quand je me sens oublié dans un groupe,

  • Quand je me sacrifie pour garder l’amour de l’autre. Nommer ces déclencheurs, c’est commencer à les apprivoiser.


🔹 2. Mettre en mots son histoire

Comme l’a montré Freud, ce qui n’est pas mis en mots tend à se répéter. La thérapie offre un espace pour revisiter son histoire, comprendre les manques précoces et donner du sens à ce qui n’a pas pu être exprimé. C’est en symbolisant la blessure qu’on commence à la transformer.


🔹 3. Reconstruire une sécurité intérieure

En thérapie, la relation au praticien devient une base de sécurité où il est possible d’expérimenter de nouvelles façons d’être en lien. C’est ce que Bowlby décrivait dans la théorie de l’attachement : l’expérience d’une relation stable et contenante répare progressivement l’insécurité ancienne.


🔹 4. Apprendre à poser des limites

La guérison passe aussi par l’affirmation de soi. S’autoriser à dire non, à exister pour soi-même, à reconnaître ses besoins sans peur de perdre l’autre. Ce travail est difficile, car il confronte à la peur centrale : “si je m’affirme, on va m’abandonner”. Mais c’est en traversant cette peur qu’on gagne en autonomie affective.


Un cœur fissuré et entouré de chaînes, symbolisant l’enfermement émotionnel et la dépendance affective.

🔹 5. Pratiquer de nouvelles expériences relationnelles

La thérapie n’est pas qu’un espace de parole : elle prépare aussi à vivre différemment ses relations. Progressivement, la personne peut tester de petites séparations sécurisées, cultiver son autonomie et découvrir que la distance ne signifie pas nécessairement perte ou rejet.

👉 La guérison de la blessure d’abandon est donc un processus progressif : prendre conscience, comprendre, expérimenter et consolider. C’est ce chemin qui permet de passer d’un lien marqué par la peur à une capacité d’aimer sans se perdre.


7 Outils concrets à pratiquer entre les séances


La thérapie est le cadre privilégié pour transformer la blessure d’abandon. Mais entre deux séances, il est possible de renforcer ce travail en adoptant des exercices simples qui favorisent la conscience de soi et la régulation émotionnelle.


🔹 1. Le journal des déclencheurs

Tenez un carnet où vous notez :

  • la situation vécue (ex. : un ami n’a pas répondu à mon message),

  • l’émotion ressentie (peur, tristesse, colère),

  • la réaction adoptée (appel répété, isolement, anxiété).

👉 Cet exercice aide à repérer les schémas récurrents et à comprendre comment la blessure se manifeste au quotidien.


🔹 2. La “pause 90 secondes”

Quand une émotion intense surgit, prenez 90 secondes pour simplement respirer et observer ce qui se passe dans votre corps, sans agir immédiatement.👉 Cela permet de ne pas répondre dans l’urgence et de reprendre le contrôle avant de réagir.


🔹 3. Le dialogue avec la “part abandonnée”

Imaginez que l’enfant blessé en vous est assis en face. Écrivez-lui ou dites-lui à voix haute :“Je vois ta peur. Je suis là. Tu ne seras pas abandonné cette fois-ci.”👉 Cet exercice de réassurance interne permet d’apporter aujourd’hui ce qui a manqué hier.


🔹 4. Le contrat des limites

Fixez-vous deux “oui” et deux “non” à respecter chaque semaine :

  • deux choses que vous acceptez de faire,

  • deux choses que vous refusez, même si vous craignez de déplaire.👉 Progressivement, cela développe la capacité à poser des limites sans peur excessive d’être rejeté.


🔹 5. Les micro-séparations sécurisées

Exercez-vous à tolérer de petites distances : passer une soirée seul(e), ne pas envoyer immédiatement un message, différer une réponse.

👉 Ces expériences progressives montrent que la solitude n’est pas synonyme d’abandon, et que la relation peut survivre à l’absence.



💡 Ces outils ne remplacent pas une thérapie, mais ils permettent de soutenir le travail en profondeur et d’apprendre à se rassurer autrement qu’à travers l’autre.



8 Vignette clinique


Élodie, 34 ans, vient consulter car elle dit “ne plus en pouvoir de ses relations amoureuses”. À chaque début de relation, elle se sent intensément amoureuse, multiplie les attentions, et a besoin d’une présence constante. Mais très vite, son partenaire lui reproche d’être “trop collante”.

Chaque silence, chaque retard de message est vécu comme une alarme : “Il va m’oublier. Il va partir.” Alors, Élodie appelle, envoie plusieurs messages, demande des preuves d’amour. Son angoisse finit par étouffer la relation… et souvent, la rupture arrive, confirmant sa peur initiale : “On m’abandonne toujours.”

En travaillant sur son histoire, Élodie prend conscience que sa mère, bien qu’affectueuse, était souvent dépressive et absente émotionnellement. Petite, elle s’est adaptée en surveillant sans cesse l’état de sa mère, craignant de la “perdre” à chaque instant.

En thérapie, elle apprend peu à peu à identifier ses déclencheurs, à calmer son angoisse avant de réagir, et surtout à se donner à elle-même une sécurité intérieure. Avec le temps, elle découvre qu’il est possible de vivre une relation sans se perdre, en aimant l’autre sans être en panique constante à l’idée qu’il puisse partir.



Silhouette marchant vers la lumière à la sortie d’un tunnel, représentant la guérison et la reconstruction après l’abandon.


9 Quand demander de l’aide et à qui ?


La blessure d’abandon peut être travaillée seul(e), mais certaines situations nécessitent un accompagnement professionnel :

  • Lorsque la peur de l’abandon envahit toutes les relations.

  • Quand les émotions deviennent trop intenses (crises d’angoisse, jalousie excessive, effondrement).

  • En cas de traumatismes précoces ou de vécus difficiles (perte d’un parent, maladie, violence).

  • Lorsque la répétition des échecs relationnels engendre une grande souffrance ou un isolement.

Dans ces cas, une thérapie analytique, psychodynamique ou un accompagnement psychologique adapté offre un cadre sécurisant pour comprendre et transformer la blessure. Un thérapeute peut devenir cette “base de sécurité” qui aide à réapprendre progressivement à faire confiance et à se sentir suffisamment solide pour exister, même en l’absence de l’autre.


Conclusion


La blessure d’abandon n’est pas une faiblesse, ni une fatalité. Elle est le reflet d’expériences précoces qui ont laissé une trace durable dans le psychisme.

Bonne nouvelle : cette souffrance peut devenir un levier de croissance. En prenant conscience de ses schémas, en travaillant sur son histoire et en s’autorisant à poser des limites, il est possible de transformer la peur d’être quitté en une capacité d’aimer sans se perdre.

Si vous vous reconnaissez dans ces lignes, peut-être est-il temps d’explorer cette blessure dans un cadre thérapeutique. Un accompagnement peut vous offrir un espace pour comprendre, apaiser et vous reconstruire.


FAQ – Blessure d’abandon


1. Comment savoir si je souffre de la blessure d’abandon ?

Vous vous reconnaissez si vous avez une peur excessive de perdre l’autre, un besoin constant de réassurance, une difficulté à être seul(e) ou une tendance à vous effacer pour garder le lien.


2. Est-ce que la blessure d’abandon disparaît complètement ?

Elle peut s’apaiser et se transformer. L’objectif n’est pas d’effacer toute peur, mais de retrouver une sécurité intérieure et une autonomie affective qui permettent d’aimer plus librement.


3. Quelle est la meilleure thérapie pour travailler cette blessure ?

Les approches analytiques et psychodynamiques offrent un cadre solide pour revisiter l’histoire personnelle. L’hypnose, la sophrologie ou d’autres pratiques peuvent être complémentaires, à condition d’être coordonnées avec un travail de fond.







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